Un hurlement. Une douleur morte née. L'un des dieux d'Egypte venait de plonger dans les abysses et, avec sa chute, il avait emporté les rayons de Rê pour quelques minutes de noirceur. Ce jour-là, de nombreuses larmes avaient coulé sur le visage des sujets de feu leur maître....
A dire vrai, c'était un souk sans aucun nom pour le définir.
Le Nil avait perdu de sa beauté : l'eau qui reflétait naguère la belle chevelure des égyptiennes étaient devenues troubles et grisâtres, comme si les dieux eux-mêmes les avaient abandonné. Tout autour de la Belle aux yeux d'émeraude, Mort et Désolation dansaient dans les flammes. Ramsès III aurait tout aussi bien pu tomber aujourd'hui que le sentiment qui naissait dans le coeur du futur Sphinx aurait été le même ; un quelque chose d'amer, un arrière goût de décadence dans sa coupole renversée... L'eau qui gisait au sol et se mélangeait à une poussière incertaine était à l'image de ce que les résidents d'Orient avaient pu vivre : ça n'avait été que des années de souffrance, d'épreuves et de dissipation. L'Egypte pansait ses blessures depuis lors et son territoire n'était plus que l'ombre de lui-même. Un musée vivant, tel un tombeau. Rien de plus, rien de moins.
Alors que faire en cette période de désespoir, quand on est la Prêtresse du Nil dédiée à ces dieux ? Lentement mais sûrement, les dernières gouttes de vie coulaient le long de la joue de cette pauvre Néférourê, dernière de son nom. Néférourê V. La plus joueuse d'entres elles, mais aussi la plus douce. C'était ainsi qu'on nommait les femmes les plus proches des divinités d'Egypte, dans le cercle très fermé du delta du Nil. "Néférourê", aussi dit "la Beauté de Rê", en l'honneur de cette princesse disparue et effacer par le Temps. Un privilège comme une damnation, si elle put bien donner son avis. A peine enfant, quelques rares héritiers du Pharaon consacraient l'une de leurs sœurs à ce rôle bien particulier, quand il venait à manquer d'une Néférourê. Malheureusement, la Cinquième n'eut pourtant pas l'occasion d'en profiter bien longuement, car déjà elle séchait ses larmes en songeant à la vie et au devoir qu'elle n'aurait jamais, sur le sol...Essoufflée. A moins de trois ans de service. C'était peu, vraiment trop peu. Sa tristesse était moite sur sa main et cette réalisation lui faisait mal. Moralement comme physiquement.
Oui, tout avait été vain. Malgré toutes les bénédictions qu'on lui avait accordé, malgré tout le pouvoir que le Nil lui avait accordé pour faire face aux conflits entre dieux, cela n'avait servi à rien. Elle avait failli...Et échoué dans sa mission.
A ses côtés, sa meilleure amie gisait dans son sang. De quoi faire monter la détresse qui lui prenait aux tripes, là, au bord de la Mort. Sa tête lui faisait mal et, plus l'étau du Sommeil serrait son cœur, plus elle fermait les yeux, priant pour que son heure ne soit pas la dernière...
Elle veut vivre.
Néférourê veut vivre...
Ou plutôt, Néféru veut survivre !
Parce que survivre, c'était ne jamais céder son chant pour ceux qu'elle avait jadis aimé. Et Néférourê aimait presque toutes les personnes qu'elle avait pu côtoyer, plus ou moins. Sauf Ammem. Et peut-être Néphtys, aussi. Mais peu importait, car même pour ces deux fortes têtes, elle avait bien une petite musique en tête, à leur jouer dès qu'elle serait en mesure de les revoir...Et d'être à nouveau la Prêtresse qu'ils avaient chéri pour de brefs instants au bord du territoire de Sobek.
Et puis, survivre...N'était-ce pas le moyen de pouvoir un jour honorer de nouveau ses dieux, lorsqu'ils seraient en mesure de regagner le jour ? Le Pharaon lui avait toujours dit que seule une Néférourê pouvait entendre leurs murmures. Et, tout comme les Sphinx protégeant la sépulture du dieu fait sur Terre, elle vivait et mourrait avec eux. Mais peut-être que ces dernières minutes étaient le moment rêvé pour être Néféru, l'humaine...Et juste Néféru.
Tout bas, à son dernier soupir, cette Etoile s'en faisait la promesse solennelle. Aux portes de l'Au-delà, son oreille arrivait pourtant à discerner quelques sons indistincts. Ses hommes, rares survivants, s'approchaient d'elles en bégayant quelques mots incertains et confus. Allaient-ils l'exhumer ? S'occuper d'elle comme le voulait les rites ancestraux ? Oh, la Guerre paierait ses actes, un jour ! Mais...La Fatigue commençait à avoir raison d'elle, hélas ! Maintenant qu'ils la tenaient contre eux, sa vision lui faisait défaut mais elle savait qu'Anubis -ou un équivalent- allait très certainement l'accueillir pour l'accompagner jusqu'au tribunal des âmes...
Ce serait même une chance, de ne serait-ce que l'entrapercevoir... Car même dans la Mort, la vie subsistait : son cœur.
Néférourê avait alors souri, nullement effrayée.